L’interview accordée par Protestinfos le 26 septembre dernier à la Présidente de l’Eglise évangélique réformée de Suisse, Mme Rita Famos, intitulée «Nous n’avons pas de structures qui permettent de dissimuler systématiquement les abus» au sujet de la crise des abus dans l’Eglise catholique romaine de Suisse, nous a interpelés. Nous sommes un groupe de personnes concernées, victimes pour la plupart d’abus sexuels commis par des prêtres de l’Eglise catholique, réunis en associations (Groupe SAPEC pour la Suisse romande et IG-MiKU pour la Suisse allemande) qui luttent depuis plus de 12 ans pour faire évoluer l’Eglise catholique afin que les abus cessent et que les auteurs soient condamnés et punis, même si le cas est prescrit selon la justice pénale. Depuis plusieurs années, nous avons élargi notre soutien à toute personne ou à son entourage concerné-e-s par les abus d’autorité religieuse, quelles que soient les religions ou spiritualités concernées.
Il est vrai, comme l’explique Mme Famos, que les Églises réformées en Suisse, n’ont pas les structures de l’Eglise catholique ni ses doctrines théologiques permettant des abus et leur dissimulation, attestés par l’étude de l’Université de Zürich. Cependant, les propos de Mme Famos nous mettent mal à l’aise, car l’Eglise réformée est présentée comme exemplaire en la matière et ce n’est pas l’image que nous rapportent des victimes qui décrivent des situations proches de celles observées dans l’Eglise catholique : abuseurs charismatiques, complicités de personnes témoins, absence de soutien à des victimes encore mineures, non- dénonciation aux autorités compétentes, voire dans un cas, la réembauche du pasteur après quelques années, y compris auprès de jeunes.
Mme Famos le concède, l’étude sur les enfants placés en Suisse « a montré que des pasteurs ont souvent fermé les yeux sur des cas suspects ». N’est-ce pas un euphémisme pour dire que des pasteurs ont couvert des crimes commis par d’autres pasteurs, tout comme des évêques ont parlé d’erreurs, de faiblesse, au sujet de prêtres abuseurs d’enfants ? Seule une recherche universitaire et neutre peut le démontrer et chiffrer leur nombre. L’Eglise réformée de Suisse est-elle prête à ouvrir ses archives et à entreprendre une telle étude qui prenne aussi en compte les lieux de formation des enfants et des adultes et les facultés de théologie? Nous l’appelons de nos vœux.
Il va de soi que tout cas de suspicion d’abus sexuels doit être immédiatement dénoncé à la justice pénale. Mais que fait-on avec les cas prescrits qui sont majoritaires, pour les victimes et pour les abuseurs ? Les situations de pouvoir et de dépendance existent aussi dans les Églises réformées et donc des situations possibles d’abus spirituels, ces derniers étant toujours à la base des abus sexuels. On en parle peu.
Notre association a reçu plusieurs personnes abusées par des pasteurs et nous nous trouvons quelque peu empruntés pour les orienter. À quelle instance s’adresser ? Les diocèses catholiques de Suisse ont tous mis en place, voici plusieurs années, des commissions d’experts, des fonds d’indemnisation, des lieux d’écoute et d’accueil pour les personnes concernées ; leur site internet pour la plupart très explicite communique des informations adéquates et des numéros de téléphone. La CECAR (Commission d’Écoute, Conciliation, Arbitrage et Réparation) instaurée à notre initiative, accueille des victimes qui refusent de s’adresser aux instances catholiques qui les ont trahies. Nous avons aussi demandé à la Conférence des Évêques suisses d’ouvrir une ligne téléphonique nationale avec des répondants professionnels neutres, afin que des personnes
concernées puissent plus facilement déposer leur fardeau. Il est toujours très difficile à une victime de s’annoncer, oser sortir du silence prend souvent des années, raison pour laquelle, quand elle y parvient, le cas est souvent prescrit selon le Code pénal suisse. Pourquoi, une instance d’accueil des personnes se trouvant dans cette situation n’existe pas dans les Églises réformées en Suisse ? Aucun site internet des Églises n’en fait mention. Absence aussi de structures de réparation. Ne faudrait-il pas aussi lancer un appel national à toute personne concernée par des abus sexuels commis par un pasteur ? Donc, rechercher une brebis malade et perduecomme le ferait un bon berger qui lui prodigue des soins. Vaste programme évangélique !
Un souhait encore : pouvoir rencontrer Mme Famos pour lui expliciter les demandes de victimes de pasteurs protestants et l’inciter à ce que les institutions qu’elle représente répondent aux mêmes exigences que celles auxquelles l’Eglise catholique romaine a consenti jusqu’à aujourd’hui.
Témoignage de Guilhem Lavignotte, membre du Groupe SAPEC sur son vécu, le travail au Groupe SAPEC et sa position sur les démarches à entreprendre dans l’Église réformée.
> Le 24h – 04/10/2023 « L’Église réformée se pense au-dessus du lot » (article réservé aux abonnés).