Edito du 12 octobre 2021 : Recherche sur les abus sexuels dans l’Eglise Un grand pas en France ! Un petit pas en Suisse ?

Les résultats de la recherche de la CIASE confirment l’ampleur et les facteurs favorisant les abus sexuels dans l’Eglise, mis en évidence dès la fin du siècle dernier et résumés dans notre Mémoire SAPEC 2013-20141. C’est un grand pas pour la France.

Les évêques français étaient à la traîne : vont-ils faire le pas suivant ?

Dans une lettre de mars 2016, j’interpellais les évêques français et une quinzaine de journalistes avec cette question : « Ni reconnaissance ni réparation pour les victimes d’abus sexuels prescrits de l’Église de France : pourquoi ? »

En mars 2017, dans l’article du Figaro2, M. Alain Christnacht, Président de la Commission nationale d’expertise contre la pédophilie de la CAF estimait que les évêques français avaient progressé en trois périodes et que leur but était atteint. En juillet, je lui écrivais : «…Contrairement à vous, je crois vraiment qu’il manque une période aux trois premières que vous mentionnez et donc que le dispositif mis en place par la Conférence des évêques français n’est pas complet. J’espère vraiment qu’au cours d’une quatrième période ces évêques, conscients de leur responsabilité morale, vont, en plus de leur parole de pardon et de leurs prières, trouver une solution qui leur est propre pour manifester à l’égard des victimes leur compassion face au traumatisme vécu et pour leur accorder une indemnité concrétisant cette reconnaissance ! »

Les propositions du rapport de la CIASE (www.ciase.fr) devraient contraindre les évêques français à concrétiser leur reconnaissance par une indemnisation. Combien d’années encore vont-ils pinailler/transiger avant de la réaliser ?

Dès 2010, les évêques suisses demandaient pardon, mais une recherche préliminaire n’aura lieu qu’en 2022 !

Les évêques suisses ont été plus rapides et efficaces, grâce à l’Abbé Martin Werlen et Mgr Charles Morerod. Ils ont reconnu leur responsabilité et demandé pardon en 2010 et accordé une indemnité aux personnes victimes dès 2016. Même celles, par dépit, qui ne voulaient plus avoir à traiter avec une institution qui ne les avait pas protégées ont pu recourir à la Commission d’écoute, de conciliation, d’arbitrage et de réparation, la CECAR, commission indépendante que les prélats suisses ont reconnue.

Dès 2010, nous avons demandé aux évêques une recherche suisse approfondie sur les abus et leurs origines, précisant nos propositions dans des lettres aux autorités de l’Eglise et à la commission d’experts de la CES. Nous avons notamment revendiqué d’être impliqués dès le départ dans la définition du projet, en nous appuyant sur l’évolution des recherches récentes en sciences humaines qui confirment l’importance d’associer les personnes concernées au concept et aux contenus. Nous n’avons pas été entendus sur ce standard minimal participatif et nous devions attendre une conférence de presse de décembre 2021 pour connaître le contenu du projet. Mgr Bonnemain vient d’annoncer en grande pompe une recherche préliminaire d’un an dès 2022, au moment de la publication du rapport de la CIASE ! Incroyable ! De qui se moque-t-on ?

La recherche sérieuse et approfondie de la CIASE s’est mise à l’écoute des victimes en créant un « groupe miroir »2 composé des représentants d’associations de victimes volontaires. « L’idée, explique Alice Casagrande, est que les historiens, les sociologues, les psychiatres n’obtiendront jamais une partie du savoir sur les abus : c’est le savoir expérientiel », celui que les victimes ont acquis par leur malheur.

Toutes les recherches de ce type aujourd’hui, y compris en Suisse, doivent donc inclure les victimes, qui sont des actrices et acteurs réels, dans l’élaboration des méthodes, du cadre et des contenus, par différentes méthodes académiques éprouvées en sciences humaines, il ne s’agit pas de théologie ici ! Les victimes ne peuvent être à nouveau colonisées, sans aucun droit à la parole sur ce que l’on dit et pensent d’elles ! Qui plus est une des facultés suisses de criminologies doit être impérativement associée.

De quelle recherche sur les abus sera-t-il question en Suisse ?

L’expertise des victimes n’est pas seulement celle de l’expérience vécue, mais aussi celle des conséquences sociétales et juridiques à en tirer. Le groupe « victimes et réparation » a travaillé avec ce groupe miroir. Ensemble, ils ont creusé des sujets tels que la réparation, la réponse de l’Eglise, la réponse pénale… Au bout du compte, la CIASE a su gagner la confiance des victimes. François Devaux, de La Parole libérée, parle aujourd’hui d’un « travail d’écoute et de réflexion exemplaire » et Olivier Savignac estime que « cette commission est en train de créer une révolution : nous ne sommes plus seuls ».

Notre association de personnes victimes – la seule en Suisse, rejointe récemment par l’association IG-MikU (Interessengemeinschaft für Missbrauchbetroffene im kirchlichen Umfeld) en Suisse allemande – n’a pas pu s’exprimer4 sur ce projet de recherche. Tenue, pour on ne sait quelle raison, à l’écart de la définition de la recherche prévue, elle reste très préoccupée malgré les paroles de Mgr Bonnemain. Nous nous posons une série de questions sur l’étude préliminaire annoncée pour 2022 ; va-t-elle

  • aller à la rencontre des victimes ? 
  • écouter les personnes victimes qui ont quelque chose à dire ?
  • auditionner les associations de victimes ?
  • donner une place proportionnée aux chercheurs romands et tessinois et leur permettre d’exprimer leur sensibilité ?
  • publier les noms des chercheurs engagés et leurs spécialités ?
  • publier les thèmes qui vont être étudiés et les méthodes utilisées ?
  • se référer au travail de la CIASE : dans quels domaines (méthodes de travail, paramètres pris en compte, relations avec les associations de victimes) ?
  • intégrer les apports scientifiques et académiques d’une faculté de criminologie ?

Il nous paraît légitime d’obtenir des réponses à ces questions et nous souhaitons bénéficier d’autant d’égard et d’attention que les personnes victimes et leurs associations ont reçus de la CIASE et d’être associés dès le départ comme elles, aux travaux du groupe de recherche suisse.

Jacques Nuoffer
Président du Groupe SAPEC

Notes

1) Mémoire SAPEC 2013-2014 http://www.groupe-sapec.net/medias/Demarches/Memoire_2013.pdf.pdf

2) Jean-Marie Guénois : Entretien: Prêtres pédophiles : Les évêques ne sont pas bien informés, Le Figaro 27 mars 2017

3) Les informations et citations de ce paragraphe sont tirées de l’article de Cécile Chambraud :Abus sexuels dans  l’Eglise : les coulisses de la commission Sauvé, Le Monde 3 octobre 2021. https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/10/03/violences-sexuelles-dans-l-eglise-les-coulisses-de-la-commission-sauve_6096906_3224.html

4)  Seul un de nos membres, Stéphane Hernach, a été invité à témoigner de son vécu sur la TV canal9. Il a appelé notamment à une journée annuelle d’écoute des victimes. https://canal9.ch/le-journal-du-07-10-2021/

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