Témoignage de Sr Christiane: « La vérité vous rendra libre »

JOURNEE DE FORMATION CES DU 16 NOVEMBRE 2022 à ZURICH

Je vous parle en tant que victime – témoin, et aussi en tant que religieuse, actuellement en communauté à Cressier/ Neuchâtel.

J’ai été victime d’un prêtre en 1960. Ma famille vivait une étape difficile et le curé, ami de mon père, m’avait prise en pension. J’avais 14 ans. A l’époque, j’étais encore une enfant. Chaque soir, j’étais terrorisée. Je n’arrivais pas à m’endormir car souvent, il s’introduisait dans ma chambre. Durant des semaines, il a abusé de moi.
Au même moment, ma sœur d’un an mon aînée était, elle aussi, victime du même prêtre et cela pendant plusieurs années. Chacune a gardé le silence, et lorsque nous avons pu en parler cinquante ans plus tard, en 2008, quelle sidération ! 

En 2018, lorsque j’en ai parlé à ma Supérieure Provinciale, elle m’a encouragée à me faire connaître. C’est grâce à la journée du mémorial à Fribourg en 2019 et à la rencontre avec Marie-Jo Aeby du groupe SAPEC que nous avons pu faire le pas. Ce fut une véritable libération. Ma soeur est décédée six mois après que nous ayons été reçues par Monseigneur Morerod, et cinq après ses entretiens à la CECAR. Voici ce qu’elle écrivait à la CECAR, une fois la responsabilité reconnue par l’Eglise :

« Comment vous exprimer ma joie et ma reconnaissance ? Je suis en fin de vie, phase terminale de deux cancers. Grâce à vous, la boucle est bouclée. Pour moi, c’est un miracle de la vie. 60 ans de silence et juste devant la mort, la reconnaissance ». 

J’ai compris là qu’il n’est jamais trop tard pour sortir du silence et que, jusqu’à la dernière minute de notre vie, la démarche en vaut la peine.

J’ai choisi la CECAR parce que, remplie de honte et de culpabilité d’avoir été salie par un prêtre, il m’était impossible de me présenter à eux, membres de la commission diocésaine. Et aussi par solidarité pour les victimes qui ont quitté l’Eglise. 

Il m’a été communiqué récemment le témoignage d’une personne victime de ce même prêtre à l’âge de 15 ans et durant 20 ans. Cette femme, peu avant son décès, s’était confiée à son fils. Celui-ci a mis 15 ans pour le communiquer à son évêque en précisant : « par son témoignage, ma mère souhaitait qu’il corrobore le récit d’autres victimes. »

Aujourd’hui, je suis contente de m’exprimer au nom et pour toutes les personnes victimes, spécialement celles qui sont emmurées dans leur silence ; pour celles qui viennent demander un accompagnement au groupe SAPEC ou ailleurs. Et pour leurs proches, victimes collatérales.

Mon engagement au groupe SAPEC a été accepté par ma Supérieure provinciale mais il n’engage que moi. Mgr Morerod, le reconnaît ; je l’en remercie !

Ce que j’attends de l’Eglise aujourd’hui ? 

Un réel effort de vérité et de loyauté : Qu’elle fasse toute la lumière sur les actes abominables, les crimes dont elle porte la responsabilité. J’attends qu’elle agisse principalement sur trois axes : 

      1)  Qu’elle mette tout en œuvre pour que les victimes sortent du silence  

2)  Qu’elle mette les victimes au centre de ses préoccupations

3)  Qu’elle sorte de la culture du secret et de l’entre-soi


1) Qu’elle mette tout en œuvre pour que les victimes sortent du silence

Beaucoup de victimes sont encore dans le silence. Il faut des décennies pour sortir de la honte et de la culpabilité. Faire la démarche demande beaucoup de courage car tout remonte en vous et c’est très douloureux. Et la plupart du temps les victimes, blessées par l’Eglise, ne souhaitent pas revenir à elle. Il y a aussi celles qui ne veulent pas dévoiler leur souffrance par égard pour l’Eglise et pour ne pas blesser leurs proches, souvent de bons chrétiens. Cela m’attriste et me préoccupe au nom de l’Evangile. C’est pourquoi je voudrais ici crier ma demande d’appels à témoignages. C’est mon appel le plus pressant, ma priorité absolue. 

Je demande haut et fort aux autorités de l’Eglise de lancer un appel à témoignages systématique dès qu’une affaire est connue et pourquoi pas, lors d’un événement à saisir. Qu’elles publient un communiqué dans la presse et un courrier aux personnes ayant fréquenté l’établissement ou la paroisse en question. 

Et qu’en tout temps, elles aient une adresse de contact mail ou un numéro de téléphone facilement accessible sur leur site. Ce n’est malheureusement pas le cas dans tous les diocèses !

Mais il faut aller plus loin encore. Il faut se mettre à la place des victimes qui ont quitté l’Eglise et ne lui font plus confiance et leur offrir une possibilité de contact téléphonique neutre et indépendant tenue par des professionnels, par exemple une ligne téléphonique à l’échelle du pays, comme le suggère depuis plusieurs mois IG-MIKU. 

2) Qu’elle mette la victime au centre de ses préoccupations

Messieurs les évêques, et vous, responsables d’Ordre monastique et de Congrégation, je vous le demande avec insistance : ne vous dérobez pas à l’appel d’une victime ! La rencontrer, c’est prendre en compte sa dignité. C’est également reconnaître le délit, le crime commis au sein de l’Institution. 
Ayez le souci de l’orienter vers la cellule diocésaine ou une association de victimes comme la nôtre en lui donnant le choix. Qu’aucun d’entre vous ne fasse la sourde oreille comme ce fut le cas pour moi, lors d’une retraite. Le moment était venu de sortir mon cri si longtemps étouffé, mais le prêtre détourna la conversation. Souffrance aggravée de ne pas avoir été prise en compte. Etais-je à ce point-là vouée à ne compter pour rien ? A mériter le mépris ? Longtemps je l’ai cru, ce qui s’est rajouté à mon sentiment de honte et de culpabilité. Je ne pense pas être un cas unique ! 

J’attends que les évêques et supérieurs, informés d’un cas d’abus, entreprennent immédiatement les démarches judiciaires et ecclésiastiques adéquates.

 Et qu’ils facilitent à la victime la lecture du dossierPersonnellement, j’ai eu accès au dossier. Ce fut un moment important pour moi. Je demande qu’il en soit ainsi partout et pour tous.

3) Qu’elle sorte de la culture du secret et de l’entre-soi

On parle beaucoup des abuseurs dans les médias ; « bien de trop me dit-on ! En faisant cela, ils attaquent l’Eglise ». Mais c’est sous la pression des médias que les scandales sortent et que les responsables réagissent !  
Je remarque également un silence poignant de mes Sœurs lorsqu’une nouvelle affaire est dévoilée. Lorsqu’un membre est dénoncé puis reconnu coupable, toute la Congrégation souffre pour lui, pour elle. Nous oublions la victime.
Il en a été de même pour Patrick Goujon, jésuite, victime et auteur de « Prière de ne pas abuser ». « Avant d’écrire à l’évêque, dit-il, je m’en suis ouvert à un ami de confiance, jésuite comme moi. Il me recommandât de ne pas en parler, de ne pas remuer tout cela. Cependant, je sentais qu’il me fallait parler ».  
C’est ce qui arrive dans ma Congrégation, dans d’autres aussi, j’imagine, et en Eglise : « Surtout, ne pas en parler, ne pas remuer tout cela. » 
« Il y a si longtemps ! » disent mes Sœurs. Mes propos choquent, alors je me tais. Ou alors, je m’insurge : « Vous ne pouvez pas comprendre » ! Elles ne savent pas que la mémoire du corps ne s’efface pas ; elle reste intacte comme une empreinte qu’il faut apprivoiser. Je suis perçue comme le trouble-fête, celle qui veut du mal à l’Eglise. Depuis les scandales récents en France, je réalise leur désarroi.

J’attends donc de l’Eglise qu’elle soit touchée au moins autant par la souffrance des victimes que par le drame que vivent les auteurs d’abus et l’institution qui a permis ces crimes,

Que les évêchés se dotent tous d’une personne qualifiée pour explorer systématiquement les dossiers des prêtres et agents pastoraux afin d’y repérer les moindres indices, facteurs d’abus. Pareil pour les Congrégations ! Dans le dossier que j’ai pu lire parce qu’il me concernait, j’ai repéré un élément douteux qui, aujourd’hui, serait lu comme suspect et à examiner sérieusement comme indice au problème.

Que les victimes connaissent le résultat des enquêtes et des sanctions imposées à leur agresseur. Qu’une communication soit faite à la paroisse ou à l’environnement dans lequel il se trouve désormais.  

Au niveau de la communication :

La publication des mesures ou sanctions canoniques est une question délicate à laquelle il faut réfléchir ; nous savons qu’elle peut permettre à de nouvelles victimes d’oser parler. 

J’attends une plus grande collaboration des responsables diocésains et des Congrégations religieuses avec le groupe SAPEC et IG Miku en Suisse allemande. 

Des informations sur la formation des séminaristes et les actions concernant la prévention. 

Une journée de prière-témoignages dans tous les diocèses annuellement ou à définir.

Et surtout, j’insiste pour mon appel à témoignages et la création d’une ligne téléphonique neutre et indépendante de l’Eglise pour permettre aux personnes meurtries et encore enfoncées dans leur silence d’oser se manifester. Cela serait un signe fort qui exprimerait la volonté de l’Eglise de sortir de l’entre-soi et un témoignage important pour la société.  

En conclusion :

Je souhaite aux responsables de l’Eglise d’oser regarder en face la violence intra-ecclésiale, la trahison de l’Eglise. Aujourd’hui, nous avons tous conscience qu’il s’agit aussi d’emprises, d’abus spirituels, de pouvoir et de conscience.

Je souhaite que les victimes majeures au moment des faits puissent se faire entendre et que leur souffrance soit prise au sérieux.

J’ai la ferme conviction que de la vérité assumée et de la manière dont elle essaiera de combattre le mal, l’Eglise, chez nous, renaîtra des cendres. Cela va être encore très douloureux ! 
Je me réjouis des avancées déjà réalisées. Nous vivons une traversée pascale. J’ose croire mon Eglise capable de se ressaisir et de se laisser façonner par le Souffle de l’Esprit. La démarche synodale arrive au bon moment. Gageons qu’elle portera de bons fruits !

Christiane Marmy

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *